11 septembre 2020

Synthèse de lecture

Alain Charmeau et Stéphane Lapujoulade ont lu cette synthèse éclairante publiée en juin 2020 sur la renaissance industrielle.

Les auteurs* sont des experts qui ne se bornent pas à dénoncer la désindustrialisation de la France ainsi que ses conséquences politiques et sociales. Ils resituent leurs constats dans une perspective historique et mettent le doigt sur les bouleversements qui sont actuellement à l’œuvre. Car, si l’industrie d’aujourd’hui revient quelque peu en grâce dans le discours, elle n’a que peu à voir avec celle d’hier. Et l’industrie de demain reste largement à inventer. Nouvelles technologies, nouvelles compétences, nouveaux modèles d’affaires, nouvelles organisations, nouveaux modes de management, les thèmes abordés par cet ouvrage sont au cœur des réflexions du Think Tank Arts & Métiers.

Les points-clés que nous retenons

Dans la préface, la secrétaire d’Etat Agnès Pannier-Runacher souligne que l’industrie est un facteur essentiel de cohésion sociale et territoriale et représente le principal moteur de notre économie et de la promotion sociale. Elle constate l’échec du modèle « post-industriel » prônant la désindustrialisation et donnant la priorité aux services ; l’industrie étant affichée comme anti-écologique, peu rémunératrice, vieillotte, tout juste bonne pour les chinois. Cet échec s’est traduit par la fracture sociale et territoriale révélée depuis la crise de 2008. Dans un encart, Philippe Varin, président de France Industrie, ancien président du groupe PSA, constate la sous-compétitivité chronique de l’outil industriel français, plombée par le poids des charges salariales et la fiscalité de l’outil de production.

 

Dans le premier chapitre, les auteurs rappellent l’évolution historique :

  • les grands plans industriels des années 50 à 80, destinés à positionner l’industrie au service de la souveraineté et à répondre au besoin d’équipements d’une population croissante
  • la désindustrialisation des années 1980 - 2010 et le concept d’entreprise sans usine
  • le renouveau avec l’industrie 4.0, apparue en Allemagne dès 2010, soutenue en France par le CIR, le CICE, le label French Tech, l’Industrie du futur, aboutissant à un solde positif de création d’emplois industriels en 2017 pour la première fois après 40 ans de décroissance.

 

Le deuxième chapitre présente le nouveau paradigme industriel.

D’une part, l’apparition d’une organisation mondiale de la production, avec 3 types d’usines. Les méga-usines pour la production de masse sont localisées mondialement en fonction des coûts, d’énergie, de matière première, de main d’œuvre, de transport. Elles ont bénéficié depuis 1970 du développement du libre-échange et du commerce international, moteur de croissance et de création de groupes internationaux. La France en est absente et la réduction récente du libre-échange amène une réflexion sur les relocalisations. Les usines intermédiaires sont à vocation nationale ou régionale pour une production plus individualisée et allant de plus en plus vers une hybridation avec les entrepôts de stockage intermédiaire. Enfin des micro-usines modulaires apparaissent à proximité des lieux de consommation pour la fabrication (par impression 3D) de produits sur mesure.

D’autre part, depuis les années 1990, l’innovation est devenue un nouveau facteur de croissance s’appuyant sur le développement du numérique. Une illustration frappante est la valorisation des start-ups du numérique, liée au potentiel de gains d’échelle, totalement différente de la valorisation des industries conventionnelles. Le numérique a d’abord permis une « industrialisation » des services dans les entreprises, avec la création de centres de services partagés. Le numérique a ensuite permis un rapprochement entre produits et services, voire une intégration entre le produit et sa fonctionnalité pour le client, par exemple avec des dispositifs de paiement à l’usage du produit ou de personnalisation du produit pour l’utilisation voulue. 

Les auteurs constatent également que l’opposition entre industrie et environnement est devenue caduque, les métiers industriels étant devenus nécessaires pour répondre aux différents défis environnementaux.

 

Le troisième chapitre est consacré au futur de l’industrie.

Les 8 briques technologiques de l’industrie 4.0 (robots, IoT, simulations, impression 3D, big data, réalité augmentée, cloud, MES) nécessitent de nouvelles compétences pour leur mise en œuvre réussie : mise en place de binômes jeunes-anciens, conduite du changement, évolution de l’encadrement technique vers le management. Les logiques de développement, de production et de vente des produits sont remises en cause par des logiques « agiles », utilisant les réseaux sociaux et l’apprentissage rapide par essais et échecs. Les organisations sont à adapter en conséquence, avec des hiérarchies aplaties et des fonctionnements en mode projet, nécessitant le développement de l’autonomie, de la responsabilité et de l’adaptabilité des employés. La maitrise des données et la gestion des flux d’informations auront un rôle grandissant.

Cette métamorphose de l’industrie se matérialise par de nouveaux paradigmes :

  • l’évolution de la production de masse vers la production de prototypes adaptés au besoin de chaque client,
  • une industrie de transformation de la matière qui devient aussi une industrie de traitement des données (multiplication des capteurs embarqués, retours des utilisateurs),
  • la priorité donnée à la fonctionnalité du produit pour le client par rapport à sa spécification
  • de nouveaux modes d’actions dans l’entreprise - Labs, intrapreneurship - ou à côté - startups, venture capital,
  • une industrie hors des murs de l’usine, avec l’intégration des clients, la séparation des lieux de développement (simulations, modélisation) et de production permise par le numérique, le télétravail.

Plutôt qu’une nouvelle industrie où les robots remplaceraient les hommes, les auteurs voient une forte mutation des métiers et la nécessité de gérer activement cette transformation des métiers pour ne pas garder des compétences obsolètes.

L’industrie doit donc devenir un lieu de formation et d’apprentissage.

 

Le dernier chapitre aborde le thème de la politique industrielle et plus particulièrement le besoin de retrouver un imaginaire, une vision positive de l’industrie, qui soit à la fois une industrie de souveraineté, d’indépendance technologique et une industrie des territoires.

Une évolution de la stratégie industrielle européenne est nécessaire pour l’adapter aux réalités mondiales récentes : rivalité US-Chine, développement du protectionnisme, des relocalisations.

La répartition des pouvoirs entre état et régions serait à adapter dans le sens d’un accroissement du rôle des régions françaises dans le développement économique et la modernisation de la centaine de bassins industriels.

La fiscalité joue un rôle important pour la compétitivité et la modernisation de l’industrie, notamment l’impôt sur la valeur ajoutée (28% en France, 17% en Allemagne), le CIR qui favorise l’investissement en R&D au détriment de la modernisation de l’outil industriel (338 robots pour 10 000 salariés en Allemagne, 200 en Italie, 154 en France).

 

Les auteurs

Anaïs Voy-Gillis est docteure en géographie et consultante au sein du cabinet June Partners.

Olivier Lluansi est un expert reconnu dans le domaine industriel. Après avoir occupé diverses fonctions auprès de la Commission européenne ou de la présidence de la République (initiative "Territoires d'industrie"), il est désormais Associé Strategy& / PwC.